Extrait du livre “ L’enfant éternel” de Philippe Forest.

Le matin est le moment des soins. La routine hospitalière est un spectacle suffisant pour les yeux des petits. Ils prennent leur petit déjeuner, ils observent le va-et-vient des infirmières qui se relayent à leur chevet. Ils doivent se lever quand on refait leur lit mais ne pas poser les pieds à terre tant que sèche le sol sur lequel une dame de service à longuement passé la serpillière. Ils peuvent aller jusqu’à la grande armoire de métal qui recèle un pauvre et mince trésor de livres et de jouets. On entend comme un grand branle-bas de combat et il faut vite regagner la chambre quand passent les docteurs. L’un d’entre eux fait un sourire, dit bonjour au nom de tous les autres, adresse une vague caresse. Puis nerveusement ils parlent entre eux, consultent des fiches, interrogent des dossiers, se donnent les uns aux autres des informations, des instructions codées. Ils sortent. Ensuite, il n’y a plus rien. Il faut traverser le long tunnel un peu écoeurant des premières heures de l’après-midi. Même si aucun enfant ne dort, pèse sur chaque lit une insurmontable torpeur de sieste. Assez tôt, on entend un écho de vaisselle et de chariot qui annonce déjà le dîner. La plupart des parents - ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu rester toute la journée auprès de leur enfant - arrivent alors. Ils ont apporté quelques jouets, livres ou friandises. Ils se font raconter les événements vides des heures qui précèdent. Ils demandent aux infirmières si les médecins se sont enfin prononcés et si l’on peut avoir une idée de la date à laquelle l’hospitalisation prendra fin. Puis ils allument tous la télévision tandis que les enfants, bien souvent, lassés de trop d’images et de sons, se retournent dans leur lit et plongent la tête sous les draps. Contents, ils assistent à la grande et douce routine de bêtises des sit-coms, des jeux télévisés. La vrai vie est là, n’est ce pas, de l’autre côté de l’écran plutôt que dans la chambre réelle où résonnent les mélodies ineptes des génériques successifs. Quand les plateaux ont été débarrassés, quand les médicaments ont été distribués, la nuit commence. Les lumières s’éteignent. Les parents partent les uns après les autres. Mais si on le souhaite, on peut rester longtemps jusqu’à l’endormissement de l’enfant. Et l’on attend du lendemain la parole de certitude et de délivrance par laquelle l’existence recommencera….

L’hôpital est un pays étrange où les lumières ne s’éteignent jamais. Tout baigne dans une clarté diffuse de néon. Le soleil ne se lève ni ne se couche…...